El mundo es una maravillosa e intrincada red de interconexiones. Esto lo saben ahora no sólo los pueblos de origen sino también los científicos cuánticos. Y muchos de nosotros. Tengo una prueba que raya el milagro: este libro, La hermana de Eloísa, primera y única edición. El libro ya no estaba en la biblioteca de Lisa cuando la heredé y era inhallable en las librerías de Buenos Aires. Pero un día en París un buen amigo me presentó a Heide Hatry quien en Berlín me invitó a colaborar en su excelente libro Heads and Tales, y fui a una lectura del libro en Nueva York y tanto vagar por el mundo haciendo amigos culminó, como le habría gustado a Lisa, cuando en la presentación conocí a John Wronoski, dueño de la casa de libros antiguos Lame Duck Books y de la galería Pierre Menard (nada menos!) quien insistió en regalarme su único ejemplar de esta pequeña joya, llenándome de felicidad y de memorias. Volví a los tiempos tan lejanos cuando mi madre y Borges, que era entonces Georgie, escribían muertos de risa el cuento epónimo, no recordaba que Arturo Capdevilla había escrito la solapa, recuerdo a Julio Gancedo y Oscar Wildner que tuvieron la valentía de arma una editorial, ENE, muy exclusiva pero que habría tener muy corta vida.
Por eso pongo acá la portada del libro de marras, que tiene además del cuento escrito en colaboración, “La Hermana de Eloísa”, dos cuentos de Borges (“La escritura del dios” y “El fin”) y dos de Lisa (“El doctor Sotiropoulos” y “El abra”). Es una forma de expresar mi profundo agradecimiento.
Luisa Valenzuela
|
|
En janvier 1955 paraît à Buenos Aires un petit livre cosigné par Luisa Mercedes Levinson (dont la notoriété n’a pas atteint l’Europe (1)), et Jorge Luis Borges (qui, lui, disait tout devoir à la France). Ce livre comprend deux nouvelles de chacun: El doctor Sotiropoulos et El abra pour Luisa Mercedes Levinson, La escritura del Dios et El fin pour Borges (2). Une cinquième nouvelle se trouve en fin de volume, qui donne son titre à l’ensemble: La hermana de Eloísa, signée par les deux, et présentée ici.
Le narrateur est un architecte sans grand relief, un jeune homme qui est « arrivé »; content de lui, de son statut (« le timide appel me parut indigne du célibataire de Buenos Aires avec studio sur l'avenida Belgrano que j'étais à présent »), de sa «gabardine italienne » et sa « montre extra-plate », cynique et |
Clickear para ampliar |
affairiste, aussi amphigourique et prétentieux que ridicule (« mon expérience en matière de femmes me dicta de la serrer entre mes bras, et l'emporter avec moi entre les ailes de l'amour. Plusieurs formules me vanaient à l'esprit: "Eloísa, je serai l'arquitecte de ton destin." "Eloísa, je t'offre un homme et un nom", mais je ne parvins qu'à lui tapoter le dos »), soucieux de réussir un « coup » financier, totalement déterminé par le milieu professionnel dans lequel il vit (« Sincèrement, la mention de Klaingutti m'impressionna. Qui, s'il a un peu roulé sa bosse, peut ignorer la maison mère de l'avenida El Cano, et ses filiales de Berazategui et de Merlo? »), il s'agit d'un héros en négatif, qui n'a d'yeux que pour les apparences, la richesse et le pouvoir.
Ce narrateur assez répulsif est très impressionné par les femmes dominatrices: d'abord par Eloísa, qui dans sa jeunesse ne l'a jamais considéré, avec qui il a vécu une relation amoureuse unilatérale et bien entendu platonique, Eloísa dont il éprouve encore comme une sorte de nostalgie, liée à l'enfance. Puis par sa sœur Irma, au prénom prédestiné (Irma renvoie à « la soeur », la hermana), d'abord dédaigneusement qualifiée de « personnage d'arrière-plan », « la bouche charnue mais pas sensuelle », éclipsée par la beauté d'Eloísa, ensuite admirée par lui dès qu'il s'avère que c'est elle qui détient, au prix d'une relation avec le puissant Klaingutti, la bourse de la maison (« franchement, je n'appréciai pas qu'elle parlât ainsi d'une femme à bien des égards exceptionnelle, qui avait toute la confiance de monsieur Klaingutti, et de qui dépendait, en ultime instance, la construction du chalet »). Irma qui ne le considérera pas plus, mais qui présent l'avantage d'être détentrice d'un pouvoir, moins sexuel (« j'eus l'occasion de remarquer sa sévère beauté, qui devait peut-être moins à la grâce qu'à l'autorité ») que financier -mais en ce qui la concerne, les deux sont étroitement mêlés.
On peut aussi noter que l'attitude des deux hommes (lenarrateur, don Antonio) face au pouvoir est à peu près identique: tous deux se trouvent immédiatement infantilisés. Le narrateur devant Eloísa (ne manifestant sa surprise de le trouver là après tant dànnées que par un « petir gars » affectueux mais un peu humiliant) puis devant Irma, dont il admire la position mais qui l'èvince diplomatiquement, et don Antonio devant Klaingutti (« Il commença à se tortiller sur son siège comme un enfant intimidé, et dit avec une petite voix de flûte: "Monsieur Klaingutti, de la société Klaingutti et frères", etc. »). Le narrateur, à la fin, oublie Eloísa et n'a d'autre espoir que de pouvoir, peut-ètre, parler bientôt avec Irma de la construction du chalet de la troisième sœur, l'invisible Gladys (3).
1. Trois livres de Luisa Mercedes Levinson sont à ce jour traduits en français: L’Ombre du hibou et Le Peseur de temps, Albin Miche, ainsi que Deux morceaux de forme obscure, Caractères.
2. L’Ècriture de dieu et La Fin, reprises respectivement dans L’Eleph et L’Aunteur et autres textes, Gallimard.
3. Dans la mesure où la question présente quelque interêt, on pourrait se demander si ces trois sœurs, qui sont pour le narrateur comme « un triple miroir dans lequel, d'une certaine manière, (sa) jeunesse venait se refléter », peuvent ou non évoquer les trois sœurs Ocampo: Silvina, qui épousera le complice et ami Bioy Casares, Victoria, « la reine de la pampa »pour Malraux, imposante figure des lettres argentines et fondatrice de la revue Sur, et Angelica, moins connue, que Borges appelait « le grand profil ». |